L’ophtalmologiste face à la Basse Vision, par le Dr Le bail , ophtalmologue spécialisée en Orthoptie, présidente de l’association ARIBa

Domaine émergent en ophtalmologie, la Basse Vision est peu connue, souvent assimilée à une « sorte de rééducation orthoptique ». A la frontière de l’ophtalmologie et de la rééducation fonctionnelle, ce type de prise en charge demande une vision globale du patient, incluant tous les aspects de sa vie quotidienne. Cette approche spécifique, inhabituelle, dans notre spécialité nous demande quelques adaptations.  Un nouveau regard, un changement de « point de vue » vis-à-vis de nos consultants est nécessaire ainsi qu’une nouvelle conception de notre pratique professionnelle, indissociable ici d’un travail en réseau avec d’autres partenaires médicaux ou sociaux.

A qui s’adresse ce type de suivi ?

Il faut se garder d’assimiler Basse Vision et séquelles fonctionnelles de DMLA. Certes sur le plan épidémiologique, ces patients  sont les plus nombreux mais tous les âges, toutes les maladies peuvent être concernées. En France on estime que le nombre de déficients visuels avoisine 1,7 million dont 1 492 000 malvoyants et 207 000 aveugles. ( enquête HID de juillet 2005)

Chez les adultes outre la DMLA, les principales affections concernent le glaucome, la rétinopathie diabétique et les complications rétiniennes de la myopie forte. Chez les enfants les rétinopathies sont au premier plan avec les cécités d’origine cérébrale et malformative, les séquelles  de prématurité et d’anoxie péri natale.

Attention ce ne sont pas les atteintes causales qui guident les indications mais les séquelles fonctionnelles qui en découlent et qu’il faut savoir apprécier. Selon les textes réglementaires le domaine de la Basse Vision concerne les patients dont l’acuité visuelle est inférieure en binoculaire à 4/10 et / ou avec un champ visuel limité sur 10°. En pratique cette définition est très théorique : un patient de 90 ans avec 3/10  P=4 peut tout à fait être autonome dans ses actes de vie quotidienne et ne relève pas du domaine de la basse vision ; un enfant lisant 6/10 mais avec des troubles de types praxiques de la fonction visuelle est fortement handicapé dans sa scolarité et peut être considéré en situation de handicap… La Classification Internationale du Handicap reflète mieux cette réalité (CIH2 modifiée en 2002). Elle insiste sur l’autonomie de chaque personne, en relevant les incapacités concernant l’exécution d’une ou de plusieurs des activités suivantes

  • en vision de prés : lecture et écriture
  • en vision de loin : appréhension de l’espace et des déplacements
  • en moyenne distance : réalisation des activités de la vie quotidienne – activités de communication – poursuite d’une activité exigeant le maintien prolongé de l’attention visuelle.

Il faut donc savoir apprécier ce retentissement fonctionnel en le modulant par l’âge, les activités et le rôle éventuel de l’entourage de nos patients.

Sans être spécialiste du déficit visuel, comment assurer ce type de suivi ?

Il est évident que chaque ophtalmologiste n’a ni le temps, ni parfois un intérêt suffisant pour se former en  Basse Vision, spécialité dans notre spécialité. Néanmoins chaque professionnel doit pouvoir répondre aux demandes de ses patients dans ce domaine.

En premier lieu, il faut savoir se garder de prononcer quelques phrases malheureuses qui resteront inscrites dans les mémoires : « il n’y a plus rien à faire pour vous, donc je vous adresse en Basse Vision » « vous allez pouvoir relire comme avant grâce à des appareillages spéciaux » « ne vous inquiétez pas, ils vont vous apprendre à revoir ». Il ne s’agit pas ici d’une rééducation avec retour à l’état fonctionnel antérieur, mais d’un accompagnement vers une autonomie, parfois limitée, obtenue avec des moyens différents.

Dans un deuxième temps, il est nécessaire de se poser la question du bon moment où cette prise en charge peut être effectuée. Nous sommes tentés de l’évoquer dés qu’il n’y a plus de ressource thérapeutique classique. Il faut bien prescrire quelque chose… La survenue d’un handicap visuel, quelque soit l’âge de la personne concernée, est toujours un traumatisme psychique fort qu’il faut savoir reconnaitre. Il faut souvent savoir attendre que le patient retrouve un certain goût pour l’action, pour une activité quel qu’elle soit afin qu’émerge la réalité d’une véritable demande. Ce n’est pas juste « je veux relire comme avant… »

Enfin pour mettre en place cette prise en charge, quelques notions simples sont indispensables pour savoir  prescrire, pour pouvoir communiquer et adresser en respectant au mieux les intérêts des malvoyants.

Savoir prescrire

Quel type de rééducation ? Combien de séances ?

Vis-à-vis des orthoptistes l’ordonnance doit juste indiquer « Bilan orthoptique Basse Vision ». De par leur décret de compétence, ces professionnels de santé peuvent indiquer par la suite le nombre de séances nécessaires (en moyenne une dizaine en AMY15 chez les adultes). Le minimum de renseignements fonctionnels utiles peut être fourni, en complétant cette  prescription par une ordonnance de champs visuels et de sensibilité aux contrastes.

Quelles possibilités de prises en charge financières ? Pourquoi remplir la demande de protocole  de soins ?

Les obstacles financiers à la réalisation d’une rééducation en basse vision sont souvent importants. Ils concernent principalement les acquisitions de matériels spécialisés optiques et/ou ou ergonomiques, et les modalités de transports domicile/ lieu de rééducation. Il est donc primordial que le patient puisse bénéficier du « protocole de soins » dit « demande de 100% ». Ce formulaire est normalement rempli par le médecin référent du patient, néanmoins peu de médecin généraliste sont au fait des traitements et  des suivis en ophtalmologie. Il faut donc savoir prendre le temps de communiquer avec eux, en leur donnant les indications nécessaires pour la rédaction de ce certificat. Par la suite le montage d’un dossier de remboursement de matériel est souvent fort complexe et l’aide d’une assistante sociale souvent fort utile pour accompagner le patient et l’opticien…

Savoir adresser aux instances administratives (MDPH)

Pour faire valoir leur droits et organiser leur vie quotidienne, les personnes en situation de handicap disposent maintenant d’un interlocuteur unique : la maison départementale des personnes handicapées MDPH.  Véritable « guichet unique » cette structure a pour objectif d’offrir à chacun un accès simple aux principaux droits et prestations auxquels il peut prétendre (carte d’invalidité, allocations diverses, reconnaissance travailleur handicapé…).

Depuis quelques mois  un nouveau compte rendu type pour un bilan ophtalmologique à destination de la MDPH existe (n° 13878*01).  Plus fonctionnel que le précédent il comprend

  • des notions cliniques habituelles en ophtalmologie : l’acuité visuelle (soyez surtout précis pour les limites de 1/10 et de 1/20 importantes pour les calculs de pourcentage d’invalidité), le champ visuel, la vision des couleurs, la sensibilité aux faibles contrastes, l’existence de troubles oculo moteurs (nystagmus, diplopie, strabisme), les troubles du sens lumineux (photophobie, cécité nocturne),
  • des notions de retentissement fonctionnel sur les déplacements à l’extérieur du domicile, sur la réalisation des tâches de la vie courante et sur le retentissement fonctionnel des troubles visuels sur la vie personnelle sociale et professionnelle.

Le tout sur une seule page ! A la portée de tout ophtalmologiste…

Savoir communiquer

  • Avec le patient et son entourage : ce n’est pas toujours simple au regard des contraintes temporelles de plus en plus fortes qui concernent notre profession. Néanmoins 2 ou 3 minutes d’attention peuvent parfois tout changer.
  • Avec les autres professionnels :  les « 3 O » Ophtalmologiste Orthoptiste et Opticien  sont les interlocuteurs privilégiés mais médecin référent, gériatre, ergonome, ergothérapeute, spécialiste en locomotion,  psychologue, assistante sociale… beaucoup d’autres correspondants potentiels existent !

Travailler en réseau, même informel, signifie définir quels renseignements je peux et je dois fournir ? Cette activité chronophage, peut se faire sous forme de courrier mais aussi de fiches de liaison plus simple d’emploi  éditée par une association comme l’ARIBa , par des réseaux constitués ou par certaines enseignes d’optique. Le relai est  ensuite souvent assuré de façon fort efficace par l’orthoptiste ou l’opticien…

Où adresser mon patient ?

Pour les enfants de 0 à 20 ans des structures de type SESSAD (service de soins à domicile) existent désormais sur tout le territoire français : SAFEP de 0 à 3 ans et SAAAIS de 4 à 20ans. Les coordonnées sont disponibles auprès de la MDPH

Pour les adultes  peu de structures existent en France. Selon la localisation géographique les solutions diffèrent :

  • Existence d’un établissement spécialisé ou d’un réseau constitué de façon formelle  à proximité : un simple courrier suffit alors  pour adresser le patient.
  • Pas de structure connue : c’est le cas le plus fréquent ! Il faut alors avoir recours à des réseaux informels constitués selon les motivations locales…

Un guide utile peut être l’annuaire de l’ARIBa  association qui  cherche à regrouper l’ensemble des professionnels concernés par la Basse Vision dans tous les domaines médicaux, médico social  ect…

En conclusion il est certain que les techniques de ré adaptation du handicap visuel demandent une prise en charge spécialisée, mais chaque ophtalmologiste doit pouvoir répondre à la demande de ces patients dans ce domaine. La principale difficulté ne concerne pas la rédaction de 2 ou 3 certificats, mais l’opportunité de pouvoir rentrer en contact avec les professionnels de proximité susceptibles d’aider au mieux les malvoyants.